Lycée Notre Dame

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Le bonheur n’est-il qu’un idéal inaccessible? Le mythe de la Genèse nous relate la chute première de l’homme et de la femme, condamnés, pour avoir transgressé l’ordre divin, au malheur, d’une part, de la souffrance dans l’enfantement et le travail et, d’autre part,à celui de la mort. Dès lors, chassés de l’Eden, paradis primitif à jamais perdu, l’homme peut-il encore prétendre au bonheur? Ne sommes-nous pas condamnés à errer « gementes et flentes in hac lacrimarum valle», comme dit le cantique, c’est-à-dire gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes qu’est le monde? Le bonheur n’est-il alors qu’un idéal inaccessible? La question, on le voit, est bien celle de savoir ce que l’on doit entendre par la notion de bonheur. Se laisse-t-il appréhender ou n’est-il que l’expression d’un désir qui cherche à se satisfaire? – Le bonheur semble impliquer une certaine durée, une période, pour être considéré comme tel, car sinon il se confondrait avec le simple plaisir éphémère. Il devrait être une sorte d’état d’esprit qui accompagnerait une situation positive. Souvent le bonheur, se traduit par une sorte d’insouciance. Une simple présence au monde où, accaparé par les plaisirs du moment, on profite simplement, sans se poser de questions, de l’instant présent. Un peu comme le carpe diem d’Horace, le « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie» du sonnet à Hélène de Ronsard. Lorsque l’on prend alors ponctuellement conscience de cette situation plaisante, on redouble en quelque sorte le plaisir vécu. Ainsi, le bon repas partagé avec les amis, lorsqu’on le contemple avec un peu de recul, peut faire naître en nous la joie: «Elle n’est pas belle la vie?» comme dit une publicité. – Mais si le bonheur est insouciant, cette prise de conscience n’a-t-elle pas lieu, une fois que le temps du plaisir est passé? Ne sommes-nous pas alors comme Proust, à la recherche d’un temps perdu parce que révolu? Celui des jeunes filles en fleur? Mais alors, cette prise de conscience ne s’accompagne-t-elle pas d’une certaine nostalgie? D’un certain malheur: celui du paradis perdu? – Mais en même temps, c’est justement le caractère éphémère de ce bonheur qui en fait le prix. C’est peut-être, en effet, parce que nous prenons conscience qu’il est passé, que nous le vivons comme un temps de bonheur. De sorte que la mémoire reconstruit sans doute pour partie le passé comme lorsque l’épreuve est surmontée, elle nous paraît moins difficile que sur l’instant où nous l’affrontions. La distance crée sans doute une forme d’illusion d’optique, qui fait aussi que ce bonheur est en quelque sorte idéalisé. Le temps de l’enfance paraît souvent un temps béni. Cependant, il est passé et ne sera pas retrouvé. L’expérience le montre: à chaque fois que nous essayons de ressusciterun moment heureux que nous avons vécu, tel que nous l’avons vécu, nous échouons. Dès lors, le bonheur doit-il sans cesse nous échapper? -D’autre part, si le bonheur doit consister dans ces plaisirs, ne doit-il pas nécessairement être interrompu par les obligations, les contraintes ou les soucis – nous parlions justement tout à l’heure d’insouciance – que nous impose le quotidien: école, travail, obligations diverses et variées, et, bien évidemment les événements plus ou moins malheureux de notre vie? Ne devient-il pas alors bien souvent une sorte d’horizon lointain vers lequel nous pourrions tendre, sans certitude de l’atteindre? Comme la fameuse «retraite» dont on fait un Eldorado moderne? De même, dans ce cas, le bonheur n’est-il pas réservé à ceux qui pourraient s’affranchir de ces contraintes? Le bonheur est-il alors un luxe de riches? – Pourtant, quand on y regarde de plus près, on est surpris de constater que c’est l’inverse qui semble vrai. En effet, les pays occidentaux, qui sont pourtant, et de loin, les plus riches, sont aussi ceux où la consommation d’antidépresseursbat de tristes records, où les taux de suicides sont particulièrement élevés. Une récente enquête sur le moral des différentes populations, dans le monde, a révélé que celles des pays occidentaux étaient les plus pessimistes, tandis que les plus optimistes sont celles des pays africains, parmi les plus pauvres du monde. Celui qui a un peu voyagé a vite fait de constater qu’il y a infiniment plus de joie chez les gens qu’on rencontre dans les rues de Bamako, de Mombasa ou de Lima, que chez ceux que l’on croise dans le métro parisien. Comment expliquer que les pauvres soient souvent objectivement plus heureux que les riches? – Il ne faudrait évidemment pas tomber dans la caricature qui consisterait à dire que la pauvreté rend l’homme ipso facto heureux sous prétexte que « L’argent ne fait pas le bonheur». Il faut d’ailleurs distinguer pauvreté et misère. Si la misère, c’est-à-dire le manque de ce qui est nécessaire à la vie semble rendre le bonheur, sinon impossible, du moins extrêmement problématique, la pauvreté, elle, suppose le strict minimum. Diderot disait déjà, au XVIII e siècle, que l’homme était probablement allé trop loin dans son développement et qu’il risquait bien d’y perdre son bonheur. On imagine aisément ce qu’il penserait de notre société d’abondance et de consommation effrénée. On retrouve dans ce mode de vie, l’idée au fondement de toute la conception libérale selon laquelle le bien-être doit produire le bonheur. C’est cette même idée que l’on retrouve dans le positivisme, et qui postulait, qu’une fois l’homme libéré des maux qui le frappaient, famine, maladies, décrépitude, manque d’hygiène et de confort, tâches pénibles et rébarbatives, il serait heureux, profitant d’une vie aisée et agréable. C’est proprement le rêve américain. Or, de nombreuses sitcoms américaines, des dessins-animés comme les Simpson, ont montré de manière satyrique la faillite de ce modèle. La famille américaine, modèle deréussite, possédant son pavillon en banlieue, avec son petit jardin et son inévitable barbecue pour partie de hot-dog entre voisins, se transforme en cauchemar où les couples se déchirent, les enfants s’abrutissent dans la pornographie et la drogue, où les Desperate housewives trouvent dans l’adultère une sortie au quotidien lugubre… Quelles explications peut-on alors trouver à cet état de fait? – On peut aisément comprendre qu’un pays en voie d’émergence, justement parce qu’il ne peut que progresser voit l’avenir de manière positive, tandis qu’un pays riche craigne plutôt une dégradation de sa situation. D’autre part, le fait d’être confronté dès le plus jeune âge aux difficultés de la vie oblige à assumer les exigences qu’elle nous impose et développe la capacité à vouloir, le «goût de l’effort» comme on dit. Alors que le confort pourrait avoir un effet lénifiant sur les individus, émousserait leur volonté et les rendrait plus faibles face aux difficultés de la vie. L’individualisme et la logique de concurrence conduirait aussi à une atomisation de la société qui condamnerait à l’isolement ou l’exclusion, tandis que la solidarité et la coopération joueraient à plein dans les pays pauvres où l’on ne peut s’en sortir seul. Pour toutes ces raisons, nous serions rendus moins aptes au bonheur. – Mais si cela peut constituer une tendance générale, faut-il pour autant admettre que le bonheur dépende des conditions de notre existence? On le voit, si l’argent ne fait pas le bonheur, la pauvreté non plus ne le fait pas. N’est-ce pas qu’il dépendrait finalement d’autre chose? Nous parlions, en début d’émission, d’un certain état d’esprit. Le bonheur ne résiderait-il pas en définitive d’une certaine conversion du regard sur la réalité, quelle qu’elle soit? – On voit en effet que si les conditions de notre existence jouent sur notre capacité à être heureux, elles ne sont pas pour autant des conditions suffisantes de ce bonheur. Ainsi, être heureux ne se confond pas avec avoir du plaisir, tant il est vrai que le bonheur relève d’une certaine manière d’être. Ne dit-on pas de celui qui resplendit de joie qu’il est bien dans sa peau, ou bien dans sa tête? Socrate disait que le bonheur ne peut consister que dans un accord avec soi-même. Or, cet accord dépend-il de la situation dans laquelle je me trouve? Si le bonheur ne consiste pas dans une hypothétique autre vie, ni autre part, n’est-ce pas qu’il peut être atteint dès maintenant? « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?» disait la chanson. Peut-être n’y a-t-il rien à attendre et qu’il nous suffit, comme le préconisaient les philosophes de l’Antiquité, de nous décider à l’être. Dès lors, notre bonheur ne dépendrait de rien ni de personne mais seulement de nous-mêmes, en apprenant à nous aimer et à aimer ce que la vie nous offre. On retrouve les deux attitudes antinomiques de Sartre, d’une part, qui au réveil, éprouve la nausée devant la nécessité de devoir choisir et de se heurter à l’enfer des autres, et, d’Augustin, d’autre part, qui se réveille plein de gratitude d’avoir à vivre une nouvelle journée, quoique celle-ci lui apporte. Nous pouvons songer à cette nageuse handisport qui voyait dans l’accident qui l’a privée de ses jambes, une chance de se dépasser elle-même et de se réaliser dans la natation, au plus haut niveau. Sans doute, cette conversion du regard ne va-t-elle pas de soi et demande un travail sur soi, mais n’est-ce pas que le bonheur se mérite quand le malheur ne demande aucun effort puisqu’il suffit de se laisser aller à sa pente naturelle? Il est, en effet, toujours plus facile de constater ce qui ne va pas que de relever les points positifs. «Travaillons, donc à bien penser» disait Pascal, c’est le secret du bonheur.