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Dans le domaine du vivant, ce qui est possible est-il souhaitable?

Les avancées spectaculaires dans le domaine de la connaissance du vivant – biologie et médecine – sont toujours saluées comme autant de victoires de l’homme sur la nature. Pourtant, l’enthousiasme légitime, que fait naître l’espoir de vaincre telle maladie, tel handicap ou de soulager telle douleur, s’accompagne le plus souvent d’une crainte dont on peut se poser la question de savoir si elle est, elle aussi, légitime. Cette ambivalence se retrouve à toutes les époques – que l’on se souvienne du «science sans conscience n’est que ruine de l’âme» de Rabelais – mais sans doute de manière plus marquée à la nôtre. Il faut la lier à l’histoire de la modernité.

En effet, le XIXe siècle n’a voulu voir dans le progrès de la science et des techniques que la libération des vieilles superstitions qui nous condamnaient à l’impuissance et l’émergence d’une nouvelle ère où l’homme deviendrait plus rationnel et raisonnable et pourrait ainsi surmonter tous les maux de l’humanité. La misère, les famines, les maladies devaient disparaître grâce au progrès des sciences. Cette pensée, qu’on a appelé pour cela «positivisme» trouvera son chant du cygne dans l’expérience traumatisante de la première guerre mondiale, «la première guerre industrielle», comme la baptisera Ernst Jünger, dans Orages d’acier.

Ainsi, si la science a, pour une part, répondu aux attentes qu’elle suscitait, ses applications se sont aussi révélées parfois catastrophiques. La grande majorité des films d’anticipation exploite à l’envi cette idée d’un progrès technique et scientifique qui se retourne contre son créateur. Que l’on songe au déjà classique Matrix des frères Wachowski ou, plus près de nous à La route de John Hillcoat et à Je suis une légende de Francis Lawrence.

La recherche sur le vivant, plus que toute autre science, suscite des interrogations, sans doute parce qu’elle touche plus directement à l’homme lui-même. D’où l’invention de la bioéthique. Que l’on songe à l’expérimentation animale, aux OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), à la pollution qui ont régulièrement les honneurs de la presse. Mais, plus encore, à l’avortement, la procréation médicalement assistée, l’euthanasie, l’origine des cellules souche… Tous ces sujets soulèvent une question récurrente: dans le domaine du vivant, ce qui est possible est-il souhaitable?

La question est celle de savoir s’il faut s’interdire certaines pratiques voire certaines recherches au nom d’un Bien supérieur. La question n’est jamais simple car il ne s’agit pas de choisir entre un bien et un mal qu’on pourrait clairement identifier. Mais entre un certain bien, celui du malade, du couple en mal d’enfant, de celui qui souffre et réclame assistance, et celui de la nature elle-même ou de la personne humaine. «Que dois-je faire» demandait déjà Kant? La science peut-elle répondre à cette question? Sa logique peut-elle valoir comme morale? Sinon, ne doit-elle pas être soumise, comme toute pratique à une juridiction supérieure? Mais laquelle?

On pourrait se demander si la peur du progrès n’est pas le fruit d’une terreur sacrée qui serait inscrite en l’homme depuis la nuit des temps. De nombreux ethnologues ont noté que, dans les sociétés primitives, le statut de la femme était souvent lié au fait qu’elle enfante, faisant d’elle un objet d’horreur et de peur mais aussi de vénération.

De même, dans le livre de la Genèse, dans la Bible, il est dit qu’après avoir mangé du fruit de l’arbre de la connaissance, l’homme et la femme furent chassés du jardin d’Eden afin, dit le texte, de les empêcher d’atteindre l’arbre de la vie qui pourrait les rendre immortels. L’arbre est gardé par les chérubins armés de l’épée flamboyante. Cet interdit symbolise l’ambivalence déjà notée: car la connaissance de la vie pourrait nous rendre immortelle mais elle pourrait se retourner contre nous. Mais en quoi une telle connaissance pourrait-elle constituer un danger?

L’un des principes fondamentaux de la science est ce qu’on appelle le principe d’interaction. Il établit que dans l’univers tout changement est lié à la totalité des changements contemporains. Ce principe a été illustré de manière imagée par Conrad Lorenz, dans une conférence faite aux Etats-Unis, sous la formule de ce qu’on a appelé l’«effet papillon». Ce qui est vrai de la matière en général l’est évidemment aussi pour le vivant. Pour prendre un exemple simple, on sait aujourd’hui que l’organisme humain est habité par des milliers de bactéries qui sont absolument nécessaires à la digestion des aliments et sans lesquelles nous ne pourrions tout simplement pas vivre. Et les maladies elles-mêmes peuvent être d’origine virale et liées à des contaminations, par l’eau, les aliments ou de nombreuses autres espèces. Ainsi, la malaria véhiculée par les moustiques, la grippe aviaire ou porcine qui ont défrayé la chronique ces dernières décennies.

Il est par conséquent évident que tout changement d’un organisme vivant, végétal ou animal, dans la mesure où il s’inscrit dans un ensemble d’interactions, celui par exemple, de la chaîne alimentaire, entraîne ipso facto une réaction en chaîne dont nul ne peut mesurer les effets. L’utilisation massive de produits phytosanitaires ou d’antibiotique a ainsi entraîné des mutations chez certaines espèces végétales ou animales qui aujourd’hui posent problème.

Mais ces mutations existent de toute façon de manière naturelle, même si l’homme n’intervient pas. Elles expliquent d’ailleurs l’évolution des espèces. Dès lors, n’est-il pas souhaitable que l’homme les comprenne et puisse éventuellement agir sur elles pour se prémunir de celles qui pourraient lui être nuisibles ou, au contraire, produire celles qui lui seraient bénéfiques? Ne serait-il pas stupide de vouloir renoncer à la médecine sous prétexte que l’on peut attraper une maladie nosocomiale et au vaccin, sous prétexte qu’il peut avoir des effets secondaires nocifs? Il faut se rappeler le sens du mot grec «pharmakon» qui signifie à la fois remède et poison. L’un ne peut aller sans l’autre.

Or, il est indéniable que l’espérance de vie, dans nos pays, a doublé en l’espace d’un siècle. Nous ne sommes plus exposés comme nos aïeux aux risques de famine, nos conditions d’existence se sont considérablement améliorées. Il faut donc considérer objectivement les biens produits par la science du vivant. La question se pose néanmoins de savoir quels sont les biens visés.

Il peut sembler logique que la recherche, dans le domaine du vivant, et particulièrement dans le domaine de la médecine, soit motivée par la nécessité de prévenir ou de soigner des maladies. Mais elle obéit aussi à la logique interne à toute science qui veut que toute question appelle une réponse. Ainsi, comment pourrions-nous comprendre un phénomène si l’on s’interdisait d’en rechercher la cause. Bien sûr, cela ne signifie pas pour autant que tout est permis pour atteindre ces connaissances. Le personnage de Faust et tous les savants fous qu’il inspirera est là pour nous mettre en garde contre une science qui subordonnerait tout à l’exigence de vérité.

Ainsi, il semble tout à fait normal de condamner, par exemple, des pratiques comme l’utilisation de cobayes humains, comme le firent les médecins nazis durant la seconde guerre mondiale, ou l’eugénisme qui vise à sélectionner les individus selon des critères physiques, sexuels ou autres. Pourtant, la question se pose de savoir jusqu’où nous pouvons aller? Cette question est celle de l’écart qui existe entre ce qui est rationnel et ce qui est raisonnable.

On se souvient que l’avortement en France, à l’origine, était soumis à des conditions très strictes qui devaient interdire tout abus. Or, le parlement vient de supprimer ces conditions qui n’ont d’ailleurs jamais été appliquées. Au même moment, l’Espagne restreint l’accès à l’avortement en imposant des conditions drastiques. Quels sont alors les critères qui permettent d’établir ce qui est juste? De même, la législation sur le handicap ne conduit-elle pas de fait à une forme d’eugénisme?

On le voit toutes ces questions font débat. D’autant plus que force est de constater que les législations diffèrent considérablement d’un pays à l’autre. Dès lors n’est-il pas illusoire de vouloir fixer des interdits qui peuvent être contournés simplement en passant une frontière?

Il s’agit donc bien de questions complexes qui articulent de nombreux paramètres qui peuvent sembler, pris individuellement, parfaitement légitimes. En effet, imposer au scientifique des restrictions dans le champ de sa recherche, n’est-ce pas ruiner la possibilité de la connaissance? Interdire l’utilisation des embryons, en France, quand d’autres équipes dans le monde les utilisent déjà, n’est-ce pas se placer dans la situation de prendre du retard dans la recherche? D’où l’autorisation accordée par l’Etat, sous conditions de prouver le réel intérêt thérapeutique de cette recherche. On sait ce que valent ces conditions, dans la mesure où le scientifique est à la fois juge et parti. On pourra toujours justifier n’importe quelle recherche par un intérêt thérapeutique.

Et la question se pose de savoir si cette course au savoir a vraiment pour but un enjeu désintéressé. On le sait, le génie génétique est un marché économique extrêmement juteux, on le voit déjà dans le domaine de l’agriculture. Que pèsent les scrupules de quelques écologistes ou de moralistes face aux bénéfices économiques colossaux attendus par ce genre de recherche? On répondra évidemment que ce marché est producteur d’emplois et donc de revenus pour des milliers voire des millions de personnes. Dans un contexte concurrentiel où seules les technologies de pointe et la science peuvent nous permettre de maintenir notre puissance, n’est-il pas suicidaire de renoncer à une telle manne financière? D’ailleurs si nous ne le faisons pas, d’autres le feront. Où sera alors le bien puisque de toute façon, c’est inéluctable?

Et que dire des souffrances réelles des gens qui réclament des solutions pour leur maladie ou leur handicap. Peut-on décemment leur opposer une fin de non-recevoir.

Tous ces arguments ont bien sûr leur valeur, mais ils auraient pu être ceux des médecins nazis dont nous parlions tout à l’heure, des esclavagistes défenseurs du commerce triangulaire… «Nul ne veut le mal» disait Aristote. C’est que tout homme se représente ce qu’il recherche ou désire comme un bien. Mais ce n’est pas parce qu’on se représente quelque chose comme un bien que c’est réellement un bien. Il est donc indispensable de distinguer intérêt et Bien.

Or la personne humaine ne saurait en aucun cas être considérée comme un simple bien, une marchandise qui pourrait faire l’objet d’un quelconque commerce. Que l’on songe à la manière dont les Etats-Unis pratiquent la sélection des ovules et du sperme en vue d’une procréation médicalement assistée: retenant des critères physiques, sociologiques, ethniques, économiques, confessionnels, – les banques du sperme ont ainsi annoncé qu’elles n’accepteraient plus de donneurs roux, les demandes étant insuffisantes – peut-on sérieusement affirmer que de telles choses n’arriveront jamais en Europe? Kant formulait l’impératif catégorique, règle d’or de la morale, de la façon suivante: «Agis de telle sorte que tu considère l’humanité en toi-même comme en tout autre, toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen.»

Le contrôle absolu est un vieux mais vain rêve de l’humanité. Il faut donc bien établir des garde-fous. Les comités d’éthiques constituent un lieu salutaire de débat et de réflexion. Mais il est regrettable que leurs recommandations soient trop souvent sans poids. L’homme n’apprend que de ses erreurs mais on peut s’inquiéter du prix qu’il faudra payer cet apprentissage.